Résolution #1: Noël prochain, louez un sapin

Caroline Buisson
7 min readJan 7, 2021
© Ecosapin

Chaque année, en Suisse, 1.2 million de sapins sont abandonnés par leurs propriétaires pour finir à la déchèterie ou en compost après les fêtes. En France, ce chiffre monte à 6 millions (1). Face à ce constat, Julien Bugnon, agriculteur basé à Cottens (VD), ne pouvait pas rester sans rien faire. Son alternative : “Ecosapin”, la location de sapins en pot. En 2021, Ecosapin fête ses 10 ans : rencontre d’un agriculteur visionnaire.

Julien Bugnon a un visage juvénile et une carrure de rugbyman. Il est détendu et souriant derrière la caméra. Rien ne laisse présager qu’en ce mois de décembre, son entreprise livre chaque jour plus de 150 sapins aux quatre coins de la Suisse, soit 4'500 sapins en un mois. Les arbres de Noël, symboles chargés d’émotion, sont attendus avec impatience par petits et grands. Une période très courte qui laisse peu de place à l’erreur.

“ Le sapin est très attendu, certaines personnes prennent même congé pour le réceptionner ! Les clients sont vraiment exigeants, il faut qu’il soit parfait. ”

Retour sur les coulisses et perspectives de cette success-story de Romandie.

Le lancement

Il y a 10 ans, brevet fédéral d’agriculteur en poche, Julien reprenait le domaine familial à Cottens (VD). Il avait en tête de développer des cultures sortant de l’ordinaire, comme des noix et des noisettes. Il fut l’un des premiers en Suisse. Il a continué avec les lentilles, les pois-chiches, le quinoa ou encore de la moutarde, 100% suisses.

Ces cultures nécessitant peu de main d’oeuvre pendant les mois d’hiver, et Julien étant outré par le gâchis des “sapins jetables”, il décide en 2011 de lancer Ecosapin dans la région lémanique. Le concept existe déjà au Canada, où il a fait ses études, et répond au besoin de durabilité et de consommation locale. Les Suisses accrochent immédiatement, et Julien et son équipe vendent 600 sapins en une semaine au lancement du service.

Le concept Ecosapin

Le concept Ecosapin est simple : “louez votre sapin sur internet, nous nous occupons du reste”. Concrètement :

  1. Les clients se rendent sur le site et choisissent leur taille de sapin (de 90 cm à 180 cm), leur essence (Nordmann ou Fraseri), la décoration et la couleur du pot ;
  2. Le conifère est prélevé dans la pépinière et livré à l’adresse indiquée, au jour souhaité. Il passe les fêtes chez ses hôtes ;
  3. À la date de leur choix, Ecosapin vient récupérer le sapin chez les clients et le replante. Si le sapin ne reprend pas son cycle de vie après le replantage, il est valorisé en biogaz.

Les clients d’Ecosapin sont à 85% des particuliers, et 15% des entreprises. La livraison se fait dans toute la Suisse, y compris à la montagne, et est incluse dans le prix du sapin sans supplément.

Trouver le bon modèle

L’équipe Ecosapin

Au lancement d’Ecosapin, Julien fait face à un premier un défi qu’il n’avait pas imaginé : le manque d’offre. En effet, la variété Nordmann, la préférée des Suisses, n’est pas cultivée en Suisse en 2011. Julien doit se tourner vers des sapins importés de Belgique. Il plante progressivement des sapins en pot sur son domaine de Cottens (VD), et considère qu’après 3 ans en terre locale, ils deviennent suisses. Il se fournit également chez des producteurs suisses ayant depuis développé leur offre. Son objectif à terme : proposer uniquement des éco-sapins suisses.

Deuxième challenge : la survie des sapins. La variété Nordmann n’est en effet pas très résistante au replantage, et perd beaucoup ses aiguilles. Plutôt que de planter les sapins en terre et les arracher à la pelle mécanique, ce qui est traumatisant, Julien décide donc d’élever ses sapins en pot, depuis la graine. Le système racinaire s’habitue donc et l’arbre présente de meilleures chances de survie.

“ Un sapin d’1,50 m met une dizaine d’années pour arriver à maturité, c’est un travail de longue haleine. Il suffit d’une année de grêle pour ruiner toute une exploitation. ”

Troisième challenge : la différentiation. En effet, les sapins sont des produits d’appels pour de nombreuses enseignes lors des fêtes. La grande distribution ou les enseignes de bricolage vendent les sapins avec des marges très faibles, voire à perte, avec des prix de 18 CHF à 130 CHF. Difficile pour les consommateurs d’y voir clair. Ecosapin, dont la location des sapins en pot oscille entre 130 et 150 CHF, a résolument un positionnement premium. Au-delà de l’expérience digitale digne des meilleurs sites e-commerce, Ecosapin se différencie par 3 aspects :

  • La qualité et durabilité des sapins — densité, couleur, forme, résistance du sapin, rien n’est laissé au hasard ;
  • La livraison et récupération du sapin à domicile — un argument décisif pour certains clients, au delà même des aspects de durabilité ;
  • La décoration du sapin et le coloris du pot à choix — un service “clé-en-main” dont les PME sont particulièrement friandes.

Avec le temps, Ecosapin a élargi son offre pour répondre à la demande. L’entreprise propose désormais, aux extrêmes du spectre, des mini-sapins de bureau, “My Little Ecosapin” (50 cm), ainsi que des très grands sapins (2 mètres et plus). Pour ces derniers, l’élevage en pot est impossible. Ce sont donc des sapins coupés, en provenance de forêts suisses, of course.

Vers une croissance durable

© Ecosapin

A l’aube du bilan du 10ème anniversaire, Julien est satisfait autant que prudent sur les perspectives. Ecosapin a trouvé son marché dans sa décennie d’existence, et a dépassé de loin ses rêves de croissance les plus fous. Même si le cru Noël 2020 a été troublé par la situation sanitaire, au 10 décembre 2020, Ecosapin avait loué tous ses conifères, signe d’un positionnement solide.

“ Nous sommes loin des start-ups qui lèvent des fonds et font une croissance à trois chiffres. Nous visons une croissance linéaire de 10 à 20% par an, sans prise de risque. ”

Le concept Ecosapin est déjà distribué via un maillage de revendeurs en Suisse, notamment des garden centers. Pour la suite, Ecosapin aimerait élargir son réseau de distribution, notamment en France, marché voisin avec un potentiel intéressant. Julien et son équipe recherchent des partenaires de qualité, qui partagent leur philosophie et leur approche. Un premier franchisé a ouvert en 2020 et opère à Marseille et Paris, et les retours sont encourageants.

“ Quand on parle de développement, gardons en tête que notre activité est agricole. Si la nature ne produit pas plus, nous ne vendrons pas plus. ”

Changer les mentalités

Pour finir, nous abordons la vision de Julien en matière de durabilité. Selon lui, la fracture ville-campagne se fait ressentir en Suisse, comme l’illustre l’initiative populaire fédérale “Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse”, qui sera votée en février 2021 (2).

“ Les urbains ont diabolisé la campagne et les agriculteurs. Les magazines et réseaux sociaux véhiculent l’image d’une agriculture idéale, non mécanisée et à petite échelle. Mais n’oublions pas qu’en Suisse, 1,5% de la population produit à manger pour le 100%. ”

Une Suisse libre de pesticides, oui, mais au prix d’importations de masse ? La Suisse importe déjà 50% de son alimentation, pire taux d’autosuffisance après le Japon (3), ce serait une folie pour sa balance commerciale. “L’émotionnel doit laisser place au pragmatisme”, selon Julien. Le bon sens paysan. Les agriculteurs ont “beaucoup de pression de toutes parts”. “ On essaye de faire bien”, conclut-t-il, la voix légèrement emportée par l’émotion.

Un exemple ? L’adaptation des techniques d’ensemencement, probablement passée inaperçue aux yeux du quidam. Les nouvelles machines agricoles permettent désormais une “agriculture de conservation” évitant un labourage des sols, intensif et appauvrissant pour la matière organique. On arrive désormais à planter des graines à la surface de la terre, sur un sol vivant, avec des semoirs de nouvelle génération en imitant la précision humaine. Sols plus riches, coûts d’implémentation plus faibles, captage carbone plus important, des avantages concrets pour une agriculture plus durable.

La recommandation de Julien pour réduire la fracture villes-campagnes ? “ Il faut recréer le lien entre les parties prenantes, il faut que les citadins viennent voir comment les gens travaillent à la campagne pour se rendre compte.”

Personnellement, nous avons testé et approuvé l’éco-sapin ce Noël, prochaine étape: stage en famille à la ferme de Cottens ?

(1) Source: https://agriculture.gouv.fr/le-sapin-de-noel-toute-une-histoire

(2) Objet du Conseil Fédéral 19.025

(2) Le taux d’autosuffisance est la part de la production indigène dans la consommation. Taux d’autosuffisance alimentaire nette Suisse de 46% en 2018, source Economie Agroscope Transfer | Nº 288

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